LA CHAMBRE D’ÉNERGIE – poème de Michel LAGRANGE

Ciel bas nuage ancien
Remorqué par un vent accablé de mémoire
Un arbre nu dresse en montant
Des branches désœuvrées

Le jour apparaît banal à pleurer
Incertain erratique
Et j’ai rendez-vous
Comme dans les contes

Il pleut de la lumière
Issue de je ne sais quel horizon
Où le vent s’obstine à des herbiers jaunes

Je pars dans un jour ordinaire
Et je suis le cours du moulin
Comme si j’avais sur mon dos
Des sacs de blé pour la métamorphose

Rien ne se soumet plus à des calendriers muraux
Un réseau aérien attend l’instant de gloire

De bonne volonté docile
Me voici voyagé par une obligation
De diriger mes pas vers l’orient nécessaire
Un profane égaré parlerait de hasard
Alors que le destin majeur décide pour mes pas

Le hasard est un fils prodigue
Il a connu des errements
Avant de rentrer tout penaud
Dans le giron du temps vital

Me voici couché sous la Pyramide
Et devenu le veilleur aux aguets
Nocturne
Anticipant la venue de l’énigme

Il fait nuit dans mes yeux fermés
Une nuit claire-obscure animée de grandeur
Où les oiseaux de l’aventure
Ont le droit d’entrer en silence

Entre deux temps
Celui des anecdotes
Et celui du Sacré
Ouvrir l’enveloppe aux mystères
Implique la confiance et l’oubli de son corps

Passer de son état d’esclave à celui de disciple
Est une façon de s’émanciper
À la proue du grand large

Ainsi l’abîme de la nuit des formes
Est-il une réalité antérieure au langage
Un dénouement au cours duquel
Les rayons de mes sentiments
Sont orientés vers un centre stellaire

Un soleil nébuleux tourne autour de ma vie
Suspendue comme un accident
Qui attend sa résolution
Les mauvais hasards sont vaincus
Par le ciel qui m’envoie ses éclaireurs

Je sais qu’une énigme est dédiée
Aux guetteurs au bord de l’abîme
Et que ma constellation est un livre ouvert

J’attends comme un poisson rejeté sur le sable
Une vague aimante qui me délivre
Et me ramène aux éléments premiers
Que j’ai trahis par de mauvais désirs

Le rendez-vous d’estuaire est un appel venu
De la nuit de lumière antérieure à l’obscurité
Qui m’enveloppe encore et s’oppose à mon souffle

J’ai dérivé le pauvre temps
Vers la beauté des origines
Et me suis converti à mon humanité

À fleur de peau je sens
Le vibrato d’un au-delà nuptial
Une spirale ouverte obliquement m’appelle
Arborescente aux ricochets d’îlots
Connus par cœur

Toute beauté ce sont des retrouvailles
Et toute liberté ressemble aux lointains souvenirs
D’un corps qui flotte au-delà de sa peau

S’émerveiller c’est s’épanouir
Être celui qu’on a failli ne pas mener à bien
Comme à un rendez-vous manqué

C’est la nostalgie que j’emploie ainsi qu’une boussole
Affairée à son horizon quelque part et partout
Selon le vent qui me traverse
Emportant loin de moi ce moi qui se dissout

C’est passer la ligne en nageur d’azur
Aller à la rencontre ensoleillée de l’être
Où je deviens ma transparence
À la façon d’un migrateur
Qui se perd dans le bleu du ciel

J’en suis à la margelle au bord du puits d’azur
Où l’hostie du ciel est offerte
En clé-de-voûte incandescente
En-dessous au-dessus de ma vie je ne sais
Tant je suis en suspens
Comme un ludion qui va et vient

J’ai tellement d’horizons à connaître
Et de réalités à mettre au jour
Que ma seule vie ne suffira pas
Je suis donc heureux de sortir du temps compté
Sous les pans de la Pyramide
Je remonte en enfance
Au pays fabuleux de l’intuition majeure
Et des grandes crues printanières

Ce n’est pas le moment des mots
Car le silence a les atouts
D’un continent immaculé

Je suis en suspension au-dessus d’un abîme
Ouvert sur les hauteurs
L’esprit du lieu me purifie
Dégageant de sa gangue
Un filon de clarté
Vierge du temps et de l’espace encore

L’humilité commande et je lui obéis
En communion avec un soleil boréal
Les souvenirs sont un lierre émouvant
Qui remonte en amont de ma mémoire émue

Comme un champ de soleils imitant l’or du temps
Je me tourne instinctivement
Vers le cœur sans fin de l’aurore

Agenouillé en oraison
Je ne m’étonnerais pas si un ange
Arrivait pour me garantir
Un destin libéré de mes incertitudes

Il s’agit de reconquérir le temps perdu
De le remettre en droit chemin
De cohérence

La création du légendaire a des pollens subtils
Je sens mon corps flotter
Comme une épave aimant les courants supérieurs
Aériens mariés avec l’infini

J’entends chanter l’âme du monde
Et je me laisse faire au gré de mon gisant
C’en est fini de la vie brève
Et des rapports épidermiques
Avec la vérité
Le moindre paysage en sait plus long
En dit plus long que les livres des philosophes

Le temps ne peut rien contre moi
Ni l’espace ouvert aux frivoles
Je suis dans le noyau central de la matière
À partir duquel tout rayonne

C’en est fini de la saison des friches
Et du colin-maillard primaire et viscéral
Où j’enfonçais mes mains dans des rouleaux de cendre

Il me faut consentir au secret de mon corps
Quitte à laisser un feu clair pénétrer
Dans la nuit de l’énigme

Je sens la plénitude inouïe
Des grands sursauts d’après l’hiver
Qui vont donner leur enthousiasme
Aux événements de ma vie

Au sommet de la Pyramide
Une pierre de vie sème à tout vent sa liberté
À l’opposé du rocher de Sisyphe
Je renoue avec le mystère
Qui joue les taches blanches sur un vieil atlas

Je suis interprété par plus d’un memento
Qui sont heureux de donner au hasard
Son statut de passeur

Me voici infidèle à l’espace et au temps
Qui m’ont brinquebalé de manière insolente
Au point que j’ai perdu de vue
Ma cohérence
Un acte est entré dans ma vie
Pour mener à bien l’odyssée
Qui depuis si longtemps m’appelle en vain
Mon âme étant fermée à double tour
Parce que le temps n’était pas venu

Un homme est en apprentissage
Il doit subir le temps mauvais
Nécessaire à sa conversion
Jusqu’à ce qu’il soit prêt

Me voici hors d’atteinte
À part ce battement d’ailes d’un ange
Hors de moi je suis c’est l’homme en colère
Hors de moi je suis c’est l’homme en prière

Hier j’étais l’homme de cendre et de fumée
Aujourd’hui le ciel étoilé palpite et me fait signe
Je remercie les errements qui m’ont permis
De retrouver la rédemption d’un temps de gloire

Au septième jour de la Création
Je me retrouve en beauté neuve
Un homme en moi se développe
Avec des convulsions d’argile
À la façon des spasmes de la sève
Aux arbres du printemps
Qui ont le ciel pour ambition

Un tambour de chaman dialogue quelque part
Avec la langue de l’espace et du temps confondus
J’aspire à revenir au point zéro du temps
Et à la pureté de l’espace intégral

Dormance et dormition
Des larves et des graines
Au plus épais du silence amoureux
De l’émancipation des êtres

La verticalité que je craignais
Comme un profane au pied de la falaise
Inspire à l’horizon
Le don de m’ouvrir au mystère

Limite étrange
Abîme où la mythologie s’informe
Un autre monde est en suspens
Une île au carrefour des éléments
Sous les pans de la Pyramide

Le temps n’est pas que linéaire
Il va et vient fait des retours
Obliquement jusqu’à ce que l’homme en chemin
Se perfectionne et se dépasse

J’ai eu besoin de brouillonner
Pour mettre au net ce qui me constitue
Et qui n’appartient à personne

Du haut de la vieillesse on voit
Comme un oiseau planeur
À travers le hasard d’un paysage irrégulier
La raison de tous ses efforts

On décrypte alors l’ultime saison
Où tous les rendez-vous se sont donné le mot
Pour la révélation vitale
Un puzzle énigmatique attend son dernier élément
Pour devenir une œuvre unique au monde
Exécutée à part entière et sans retour

Allongé sous la Pyramide
Je m’apprivoise aux silencieux moteurs
Dont mes yeux grand ouverts écoutent l’énergie
C’est le non-temps qui va et vient
Dans son écume ralentie
Par les paumes du ciel

Il y a dans l’esprit de l’homme un tropisme émouvant
Comme l’instinct de la lumière attirant les oiseaux
Et le moindre brin d’herbe

La liberté humaine a le pouvoir malsain
De s’orienter vers l’opacité d’un ubac
Où tout sera permis
Sauf la grandeur et l’unité

Le corps de ma mémoire est à un confluent
Où l’avenir est en train de germer
Dans les eaux mêlées du temps vénérable
Il fera beau demain de tous les nuages passés

Mon imagination s’émancipe et rayonne
Au creux d’une réalité fervente
Où les chemins courus d’avance ont pour mission
De recentrer mon souffle et de franchir le seuil
À partir duquel tout commence

Et je marche à travers un jour en liberté
Spatiale et temporelle

Le temps nouveau donne à l’espace
Un avenir d’inspiration
Comme s’il avait l’intention de revenir
À l’infini

L’oiseau guettant sa proie
Développe un vol spiralé
Dans la beauté sans fin du ciel
Le destin m’ouvre des trésors
Mouvement danse envol j’apprends
Les raisons du voyage

J’investis la réalité
Ma célébration vaut prière
Je trouve en moi les clés du temple
Et n’ai plus peur de ma vérité

Le hasard quotidien s’en va
Laissant la place à l’essentiel
Comme s’il s’agissait d’un rêve aux vertus sibyllines

Heureux plein d’une jubilatoire énergie
Aspiré par un avenir à ma disposition
Je sens que tout retour
Au passé n’est plus de saison

Je crois en mes propres trésors
Parce que je suis devenu
Une île au cœur du puzzle universel
Accueillant ma béatitude

J’ai vu comme jamais mon Père en rêve
À la fin de sa vie de solitude et de douleur
Et je lui ai dévoilé mon amour
Dans un éclair de vie
Qui fonde une existence
C’en est fini de notre relation douceâtre et monotone
À la limite de l’oubli

Nous ne sommes pas tous égaux devant l’esprit
Certains ont des laissez-passer
D’autres sont impuissants
Car enfoncés dans la matière

À la fin du chemin le chemin continue
Aérien silencieux
Ouvert aux migrateurs
Et spirituel autant que platonique

Au moulin je reviens
Pour enlever de la poussière encore au chemin constellé
De mes pas dans la vie
Et je me laisse aller dans les courants d’un temps
Et d’un espace étrangers à la prose

Une douce euphorie me dilate le cœur
Et me porte à la proue d’une conscience exacte
Dans l’eau que l’estuaire élargit
Mon dernier vœu est en partance
Offert aux courants supérieurs
Apercevoir l’ombre aimée de ma Mère

Ainsi le temps du cœur
Saura rejoindre à l’infini
Ma vie multipliée par les frissons d’une épopée
Intemporelle

Le ciel est sur le point de basculer sur moi
Pour me charger de transparence
Et d’oiseaux migrateurs
Qui laissent dans le ciel des sillons rayonnants

Michel LAGRANGE, lauréat de l’Académie française – février 2023

Le Moulin des tachyons