Ciel bas nuage ancien Remorqué par un vent accablé de mémoire Un arbre nu dresse en montant Des branches désœuvrées Le jour apparaît banal à pleurer Incertain erratique Et j’ai rendez-vous Comme dans les contes Il pleut de la lumière Issue de je ne sais quel horizon Où le vent s’obstine à des herbiers jaunes Je pars dans un jour ordinaire Et je suis le cours du moulin Comme si j’avais sur mon dos Des sacs de blé pour la métamorphose Rien ne se soumet plus à des calendriers muraux Un réseau aérien attend l’instant de gloire De bonne volonté docile Me voici voyagé par une obligation De diriger mes pas vers l’orient nécessaire Un profane égaré parlerait de hasard Alors que le destin majeur décide pour mes pas Le hasard est un fils prodigue Il a connu des errements Avant de rentrer tout penaud Dans le giron du temps vital Me voici couché sous la Pyramide Et devenu le veilleur aux aguets Nocturne Anticipant la venue de l’énigme Il fait nuit dans mes yeux fermés Une nuit claire-obscure animée de grandeur Où les oiseaux de l’aventure Ont le droit d’entrer en silence Entre deux temps Celui des anecdotes Et celui du Sacré Ouvrir l’enveloppe aux mystères Implique la confiance et l’oubli de son corps Passer de son état d’esclave à celui de disciple Est une façon de s’émanciper À la proue du grand large Ainsi l’abîme de la nuit des formes Est-il une réalité antérieure au langage Un dénouement au cours duquel Les rayons de mes sentiments Sont orientés vers un centre stellaire Un soleil nébuleux tourne autour de ma vie Suspendue comme un accident Qui attend sa résolution Les mauvais hasards sont vaincus Par le ciel qui m’envoie ses éclaireurs Je sais qu’une énigme est dédiée Aux guetteurs au bord de l’abîme Et que ma constellation est un livre ouvert J’attends comme un poisson rejeté sur le sable Une vague aimante qui me délivre Et me ramène aux éléments premiers Que j’ai trahis par de mauvais désirs Le rendez-vous d’estuaire est un appel venu De la nuit de lumière antérieure à l’obscurité Qui m’enveloppe encore et s’oppose à mon souffle J’ai dérivé le pauvre temps Vers la beauté des origines Et me suis converti à mon humanité À fleur de peau je sens Le vibrato d’un au-delà nuptial Une spirale ouverte obliquement m’appelle Arborescente aux ricochets d’îlots Connus par cœur Toute beauté ce sont des retrouvailles Et toute liberté ressemble aux lointains souvenirs D’un corps qui flotte au-delà de sa peau S’émerveiller c’est s’épanouir Être celui qu’on a failli ne pas mener à bien Comme à un rendez-vous manqué C’est la nostalgie que j’emploie ainsi qu’une boussole Affairée à son horizon quelque part et partout Selon le vent qui me traverse Emportant loin de moi ce moi qui se dissout C’est passer la ligne en nageur d’azur Aller à la rencontre ensoleillée de l’être Où je deviens ma transparence À la façon d’un migrateur Qui se perd dans le bleu du ciel J’en suis à la margelle au bord du puits d’azur Où l’hostie du ciel est offerte En clé-de-voûte incandescente En-dessous au-dessus de ma vie je ne sais Tant je suis en suspens Comme un ludion qui va et vient J’ai tellement d’horizons à connaître Et de réalités à mettre au jour Que ma seule vie ne suffira pas Je suis donc heureux de sortir du temps compté Sous les pans de la Pyramide Je remonte en enfance Au pays fabuleux de l’intuition majeure Et des grandes crues printanières Ce n’est pas le moment des mots Car le silence a les atouts D’un continent immaculé Je suis en suspension au-dessus d’un abîme Ouvert sur les hauteurs L’esprit du lieu me purifie Dégageant de sa gangue Un filon de clarté Vierge du temps et de l’espace encore L’humilité commande et je lui obéis En communion avec un soleil boréal Les souvenirs sont un lierre émouvant Qui remonte en amont de ma mémoire émue Comme un champ de soleils imitant l’or du temps Je me tourne instinctivement Vers le cœur sans fin de l’aurore Agenouillé en oraison Je ne m’étonnerais pas si un ange Arrivait pour me garantir Un destin libéré de mes incertitudes Il s’agit de reconquérir le temps perdu De le remettre en droit chemin De cohérence La création du légendaire a des pollens subtils Je sens mon corps flotter Comme une épave aimant les courants supérieurs Aériens mariés avec l’infini J’entends chanter l’âme du monde Et je me laisse faire au gré de mon gisant C’en est fini de la vie brève Et des rapports épidermiques Avec la vérité Le moindre paysage en sait plus long En dit plus long que les livres des philosophes Le temps ne peut rien contre moi Ni l’espace ouvert aux frivoles Je suis dans le noyau central de la matière À partir duquel tout rayonne C’en est fini de la saison des friches Et du colin-maillard primaire et viscéral Où j’enfonçais mes mains dans des rouleaux de cendre Il me faut consentir au secret de mon corps Quitte à laisser un feu clair pénétrer Dans la nuit de l’énigme Je sens la plénitude inouïe Des grands sursauts d’après l’hiver Qui vont donner leur enthousiasme Aux événements de ma vie Au sommet de la Pyramide Une pierre de vie sème à tout vent sa liberté À l’opposé du rocher de Sisyphe Je renoue avec le mystère Qui joue les taches blanches sur un vieil atlas Je suis interprété par plus d’un memento Qui sont heureux de donner au hasard Son statut de passeur Me voici infidèle à l’espace et au temps Qui m’ont brinquebalé de manière insolente Au point que j’ai perdu de vue Ma cohérence Un acte est entré dans ma vie Pour mener à bien l’odyssée Qui depuis si longtemps m’appelle en vain Mon âme étant fermée à double tour Parce que le temps n’était pas venu Un homme est en apprentissage Il doit subir le temps mauvais Nécessaire à sa conversion Jusqu’à ce qu’il soit prêt Me voici hors d’atteinte À part ce battement d’ailes d’un ange Hors de moi je suis c’est l’homme en colère Hors de moi je suis c’est l’homme en prière Hier j’étais l’homme de cendre et de fumée Aujourd’hui le ciel étoilé palpite et me fait signe Je remercie les errements qui m’ont permis De retrouver la rédemption d’un temps de gloire Au septième jour de la Création Je me retrouve en beauté neuve Un homme en moi se développe Avec des convulsions d’argile À la façon des spasmes de la sève Aux arbres du printemps Qui ont le ciel pour ambition Un tambour de chaman dialogue quelque part Avec la langue de l’espace et du temps confondus J’aspire à revenir au point zéro du temps Et à la pureté de l’espace intégral Dormance et dormition Des larves et des graines Au plus épais du silence amoureux De l’émancipation des êtres La verticalité que je craignais Comme un profane au pied de la falaise Inspire à l’horizon Le don de m’ouvrir au mystère Limite étrange Abîme où la mythologie s’informe Un autre monde est en suspens Une île au carrefour des éléments Sous les pans de la Pyramide Le temps n’est pas que linéaire Il va et vient fait des retours Obliquement jusqu’à ce que l’homme en chemin Se perfectionne et se dépasse J’ai eu besoin de brouillonner Pour mettre au net ce qui me constitue Et qui n’appartient à personne Du haut de la vieillesse on voit Comme un oiseau planeur À travers le hasard d’un paysage irrégulier La raison de tous ses efforts On décrypte alors l’ultime saison Où tous les rendez-vous se sont donné le mot Pour la révélation vitale Un puzzle énigmatique attend son dernier élément Pour devenir une œuvre unique au monde Exécutée à part entière et sans retour Allongé sous la Pyramide Je m’apprivoise aux silencieux moteurs Dont mes yeux grand ouverts écoutent l’énergie C’est le non-temps qui va et vient Dans son écume ralentie Par les paumes du ciel Il y a dans l’esprit de l’homme un tropisme émouvant Comme l’instinct de la lumière attirant les oiseaux Et le moindre brin d’herbe La liberté humaine a le pouvoir malsain De s’orienter vers l’opacité d’un ubac Où tout sera permis Sauf la grandeur et l’unité Le corps de ma mémoire est à un confluent Où l’avenir est en train de germer Dans les eaux mêlées du temps vénérable Il fera beau demain de tous les nuages passés Mon imagination s’émancipe et rayonne Au creux d’une réalité fervente Où les chemins courus d’avance ont pour mission De recentrer mon souffle et de franchir le seuil À partir duquel tout commence Et je marche à travers un jour en liberté Spatiale et temporelle Le temps nouveau donne à l’espace Un avenir d’inspiration Comme s’il avait l’intention de revenir À l’infini L’oiseau guettant sa proie Développe un vol spiralé Dans la beauté sans fin du ciel Le destin m’ouvre des trésors Mouvement danse envol j’apprends Les raisons du voyage J’investis la réalité Ma célébration vaut prière Je trouve en moi les clés du temple Et n’ai plus peur de ma vérité Le hasard quotidien s’en va Laissant la place à l’essentiel Comme s’il s’agissait d’un rêve aux vertus sibyllines Heureux plein d’une jubilatoire énergie Aspiré par un avenir à ma disposition Je sens que tout retour Au passé n’est plus de saison Je crois en mes propres trésors Parce que je suis devenu Une île au cœur du puzzle universel Accueillant ma béatitude J’ai vu comme jamais mon Père en rêve À la fin de sa vie de solitude et de douleur Et je lui ai dévoilé mon amour Dans un éclair de vie Qui fonde une existence C’en est fini de notre relation douceâtre et monotone À la limite de l’oubli Nous ne sommes pas tous égaux devant l’esprit Certains ont des laissez-passer D’autres sont impuissants Car enfoncés dans la matière À la fin du chemin le chemin continue Aérien silencieux Ouvert aux migrateurs Et spirituel autant que platonique Au moulin je reviens Pour enlever de la poussière encore au chemin constellé De mes pas dans la vie Et je me laisse aller dans les courants d’un temps Et d’un espace étrangers à la prose Une douce euphorie me dilate le cœur Et me porte à la proue d’une conscience exacte Dans l’eau que l’estuaire élargit Mon dernier vœu est en partance Offert aux courants supérieurs Apercevoir l’ombre aimée de ma Mère Ainsi le temps du cœur Saura rejoindre à l’infini Ma vie multipliée par les frissons d’une épopée Intemporelle Le ciel est sur le point de basculer sur moi Pour me charger de transparence Et d’oiseaux migrateurs Qui laissent dans le ciel des sillons rayonnants
Michel LAGRANGE, lauréat de l’Académie française – février 2023